Birjmohan le brahmane et Inde des castes

Birjmohan est un jeune brahmane qui possède un temple dans la très sympathique Vishnu Rest House de Varanasi, sa ville d'origine. Avec assiduité et élégance, je le vît ce soir-là encore réciter le fameux mantra (prière) Om Namah Shivaya et allumer des encens pour les faire tournoyer autour de l'autel dédié à Shiva, dieu à la fois redoutable et protecteur.

Son air bienveillant et son calme troublant m'ont donné envie d'aller à sa rencontre mais ses occupations religieuses (une bonne dose de lecture religieuse, de la médiation matin et soir, les pujas quotidiennes et une longue sieste bien méritée!) l'ont écarté de mon chemin nombre de fois. J'ai tout de même pu lui voler quelques minutes, que les dieux m'en excusent.

 

Tout d'abord, comment devient-on Brahmane ?

 

"Les brahmanes sont les membres de la plus haute caste de l'hindouisme. Dans ma famille, nous sommes brahmanes depuis de nombreuses générations. Il y a des activités, comme l'étude des Védas par exemple, qui ne sont autorisées qu'aux brahmanes mais moi je pense qu'être brahmane dépend de ton karma : si tu as un bon karma, que tu accomplis de bonnes choses, tu peux devenir brahmane. Pour moi, le karma est une action honnête, pure et non égoïste. Un cordonnier par exemple, qui fait partie de la caste des intouchables peut aussi être un brahmane si il fait tout pour y arriver. Et moi, si j'agis d'une mauvaise manière et que j'ai un mauvais karma, alors non, je ne peux plus prétendre en être un. Devenir un brahmane est un long et difficile travail."

 

Quelle philosophie retiens-tu de ton activité spirituelle ?

 

"C'est l'amour, l'amour des dieux, le respect de chacun, la croyance. Si tu aimes, tu sens la présence de dieu et tu ne peux que le respecter et respecter tout ce qui t'entoure. Dieu est partout. Sans Dieu, tout serait à terre. Ta bouteille d'eau, toi, ton stylo, ne tiendraient pas en place mais tomberaient. Croire est très important. Et quand tu aimes, tu crois au positif, tu te charges de vibrations positives. Les vibrations négatives te tuent. Il faut croire car tout est possible."

 

Mais les problèmes sont réels...

 

"La vie est une balance, lorsque tu as un problème, il ne faut pas y croire c'est-à-dire qu'il faut le réduire dans ton esprit et passer à autre chose. Il faut toujours positiver. Toujours penser très loin, avoir un gros objectif. Sur une échelle, les dieux sont très très haut et toi tu es tout en bas mais tu peux accéder en haut de l'échelle. Je m'efforce donc tous les jours d'aller jusqu'aux dieux. La vie est un voyage, avec un début et une fin. Il faut donc finir tout ce que tu amorces."

 

Et comment réussit-on à aller jusqu'aux dieux et trouver le bonheur ?

 

"Il est essentiel de renoncer au matériel, à tout attachement. Il faut sentir chaque dieu, chaque partie où est Dieu pour comprendre qu'il faut renoncer au monde matériel, celui de l'Illusion. Dieu est partout, tu peux le sentir en toi. D'ailleurs pour nous, Brahma est dans ton ventre, Vishnou dans ton cœur et Shiva dans ta tête.

 

Si tu es attaché, il y aura des problèmes. Ce qu'il faut comprendre c'est que le passé c'est de l'histoire, le futur c'est du mystère et le présent est un cadeau que les dieux te donnent chaque jour. Il faut donc agir de la meilleure manière qui soit pour avoir un bon karma et s'efforcer de connaître son moi naturel. De comprendre qui l'on est. De se poser des questions, de questionner son esprit car il esprit est suprême et c'est la chose la plus puissante que l'on ait. Il est nécessaire se pas se perdre dans les conseils des autres, de ne pas distraire son esprit inutilement. Ainsi, Dieu grandit doucement en toi et te montre la voie."

 

La voie pour atteindre la moksha ?

 

"Oui. Il ne faut pas avoir peur, les efforts payent et si tu te libères de toute cette illusion, alors non tu ne renaîtras pas. Ceux qui ne renaîssent pas sont ceux qui meurent sans besoin superficiels et ceux qui connaissent qui ils sont, leur moi naturel, intérieur. Le vrai sens de tout c'est le renoncement car il faut comprendre que nous ne sommes pas un corps, nous sommes une âme. Notre corps est comme une chambre pour notre âme.

Même l'union d'un homme est d'une femme est un attachement qui cause des problèmes. Car le véritable amour est celui où tu donnes sans jamais demander ou attendre en retour. Les unions amoureuses sont égoïstes."

 

Et toi, es-tu proche de la délivrance ?

 

"Non j'en suis loin encore! Je m'efforce tous les jours d'avoir bon karma et d'écouter les dieux. Je suis heureux mais je sens que les dieux me disent de voir autre chose, de voyager, de développer mon enseignement. J'ai besoin d'expérience. Tout le monde a besoin d'expérience, le savoir ne s'arrête jamais."

 

 

     Voilà comment, en moins d'une heure, Birjmohan me redonne le sourire et arrive à me faire croire qu'avoir une vie paisible et droite est si simple. Finalement, à quelques attachements près, ça l'est!

 

 

L'organisation sociale indienne

 

Parler à un brahmane est toujours très apaisant et cette rencontre a surtout été pour moi le moyen de me questionner sur un autre aspect très important de l'hindouisme, celui du social. En effet, le social et le religieux semblent indissociables, témoignant d'une approche fonctionnelle de la religion par ses fidèles. L'ordre social, organisé par l'idéologie du système de castes, définit les droits et les devoirs de chaque individu, en fonction de sa position hiérarchique, de son âge et de son son sexe.

 

Le système de castes remonte à des millénaires, à l'époque védique où la société était organisée en trois grandes classes : les brahmanes, chargés d'effectuer les sacrifices et d'enseigner le sacré; les khsatriya, guerriers et protecteurs de la société et les vaishya, chargés de l'agriculture et du commerce. Mais c'est avec le célèbre traité de droit "Les Lois de Manu" (écrit entre le IIe siècle avant notre ère et le IIe siècle) que le système de castes se complète et se précise. Ainsi en découle quatre grandes classes ou varanas, qui ont ensuite été fragmentées en une multitude de plus petites castes ou jâti. Ce sont à ces jâti que les hindous se réfèrent le plus souvent.

 

A l'origine, la caste se définit par un principe d'hérédité stricte mais aussi d'interdépendance car aucune caste ne peut vivre en autarcie : chaque caste ayant son corps de métier, elles ont toutes une utilité par rapport à une autre. Enfin, le principe de pureté et d'impureté, qui concerne essentiellement les règles de nourriture (les castes supérieures étant strictement végétariennes par exemple) englobe le système et permet une justification religieuse à toute cette organisation.

 

Aujourd'hui, comme Birjmohan et bon nombre d'indiens avec qui je me suis entretenue me l'ont expliqué, le système de castes a subi d'importants changements, notamment depuis la Constitution de 1949 qui abolit l'intouchabilité (art. 17) et interdit toute discrimination basée sur la caste (art.15).

Tous semblent d'accord pour dire que beaucoup d'efforts sont faits pour permettre aux indiens issus de basses castes d'accéder aux mêmes droits que tous. Et ces changements vaudraient également pour les femmes...

Oui, il est indéniable que la modernité ait pu modifier les traditions inégalitaires de l'époque védique mais ce modèle reste encore ancré dans beaucoup de communautés et beaucoup semblent en être satisfaits.

 

Le système des castes a beaucoup été contesté mais il est important de comprendre certains de ses bienfaits. L'organisation sociale hindoue garantit un certain équilibre et une entre-aide certaine entre les membres d'une même communauté. L'Inde tient a ses communautés parce que sans elles, ce si grand pays pourrait s'y perdre. Après plusieurs mois de voyage, il est vrai que j'observe avec émerveillement les liens forts qu'entretiennent les membres d'une famille. Et je parle de famille au sens très large! Au sein d'une caste, aucun individu ne sera laissé pour compte. Quant à l'hérédité des métiers, elle garantit en un sens la transmission du savoir et la pérennité économique d'un clan. Si la persécution des plus basses castes est une réalité insupportable, qui semble heureusement s'éteindre, l'existence de communautés plus ou moins fermées fournit un équilibre et un respect qui concourent à guider paisiblement les hindous vers l'ordre universel, le Dharma.

 

Pour arriver à se délivrer du samsara, l'hindouisme semble avoir intégré toutes les activités humaines et sociales de l'Homme, comme si rien avait été laissé au hasard. Religion, philosophie, système social, l'hindouisme est un tout à la fois libre par sa diversité et rigide par sa structure. Un tout où les inégalités côtoient l'union solidaire. Qu'en penser ? Je dirais "ça dépend", la réponse préférée des indiens quand on les questionne sur leur religion!

 

Birjmohan

 

Lou

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